mardi 1 mars 2016

La Martenitsa




Aujourd’hui, c’est la fête du petit mars en Bulgarie. La Martenitsa. Мартеница. Coutume sûrement pré-chrétienne, héritée de traditions thraces mêlées aux influences latines, grand bouillon du Levant. En fait, on célèbre, plutôt que le printemps, son attente. 
C’est une fête du désir, de l’appétit et de la soif.

Rouge et blanche, couleurs du vin. 

Les martenitsi sont des talismans que l’on s’offre le premier jour de mars, tressés de fil rouge et blanc auxquels on peut accrocher des breloques. Animaux en bois, fleurs, pompon ou poupées miniature appelées Pizho et Penda... Certains y nouent même le Nazar boncuk, cette amulette turque qui protège contre le mauvais œil. 

Le rouge, c'est pour la vigueur du sang, la chaleur du soleil printanier, la lumière, tandis que le blanc représente la neige qui fond, l’eau, autant d'éléments vitaux. 

Il est de coutume de s’offrir l’un de ces bracelets en ce 1er mars. Pour se protéger contre la mauvaise humeur de Baba Marta, grand-mère acariâtre et versatile, à l'image des giboulées de mars. Ce présent est sans doute une réminiscence des offrandes antiques pour la fertilité et la germination. 

La Martenitsa est donc une tradition pour la bonne terre, un geste rustique, de ceux qui observent le ciel et le gel sur les herbes, le matin. Un usage de koulak. 

Puis, au premier vol de cigogne ou au premier bourgeon, on accroche le lien à une branche. 

Plusieurs légendes sont racontées aux enfants pour expliquer cette tradition. La dispute entre la jonquille et le perce-neige, le sang versé par le soleil le jour où un jeune homme le libère des nuages et du vent, et bien d'autres encore. Peu importe celle à laquelle on choisit de croire. 

Il s’agit juste de se réjouir du seuil, de l'entre-deux du mois de mars, entre lait et sang, sorte de Janus bifrons, capable de lever les cultures comme de les glacer, mois un peu fou pour la terre qui ne sait plus où donner de la tête, comme le lièvre de mars d’ailleurs, celui d’Alice, mad as March hare, où l’on avance sur un fil, tressé ou pas, presque costume de carnaval, rapiécé entre lambeaux d'hiver et guenilles de printemps, métaphore possible de notre vie à tous, avec ses hauts et ses bas, et de leur permutation parfois possible. 

Alors pour fêter avec vous ces secousses du désir, à mi-chemin de la ruade et de la rebuffade, je vous invite, faute de vous offrir un bracelet,  à vous asseoir et à fermer les yeux, comme on fermerait ses paupières face au soleil de mars, attablé à une petite table en bois dans une gargote des montagnes Rhodopes. Au-dessus de votre tête grimperait certainement une treille et les cloches du monastère annonceraient bientôt midi. Il y aurait peut-être une nappe à carreaux ou simplement les nervures du mélèze que vous suivriez avec votre couteau. A coup sûr un bol rempli d'olives et un pot de yaourt où tremper du pain avec du sel. En sourdine, on entendrait une femme chantonner au premier. Vous l'imagineriez porter un tablier brodé et un fichu su la tête et vous auriez raison. Il ferait à la fois doux et frais, de sorte que vous ne sauriez si garder ou enlever votre veste. Le bisou et hop la pichenette,  la calotte, la caresse. 

Et vous commanderiez deux verres. Pour fêter simplement ce jour comme il va. 

Un rouge et un blanc.