mercredi 24 juin 2015

Christophe Lucquin éditeur

Si vous ne connaissez pas les livres bleus et blancs de Christophe Lucquin éditeur, ou si vous les connaissez et ne voulez pas qu'ils disparaissent, vous pouvez faire un tour au bout du lien qui suit, on y trouve un projet éditorial stimulant mais malheureusement à bout de souffle. 

http://fr.ulule.com/christophelucquin-editeur/


Possibles (2)



© Claudine Doury


Il s’était élancé contre la pente, le corps légèrement penché dans sa course, souple et long comme un roseau, tige fouettant le ciel, tout en offrant sa poitrine aux rouleaux qui s’écrasaient contre les galets. 

Dix minutes plus tôt, il marchait encore avec des béquilles. 

Parvenu en haut de la crête, il avait aperçu la mer et brutalement lâché ses cannes.  Une fraction de seconde avait suffi pour qu’il se jette vers elle, comme si son genou fût miraculeusement rétabli, l’iode et le vent lui sablant les cheveux, son souffle galvanisé, le sel et l’oxygène giflant son jeune sang, les veines rendues fébriles à ses tempes, marbrant la peau limpide sous la transparence topaze, lointains ancêtres asiatiques à la délicatesse fauve qui contrastait avec le jais de ses cheveux, tignasse qu’il coiffait et décoiffait avec le même soin, sûr de son effet, de cette beauté arrogante qu’il affichait sans aucune réserve, ne lui opposant, dans la violence de l’adolescence, aucune modestie, bien décidé à éclabousser de sa superbe le plat pays alentour, l’enfant cherchant l’homme à venir dans ces dilatations de l’être, et livrant une guerre sans merci au monde, à coup de biffures dans le bleu, appétit vorace qui ne connaissait aucune limite car il était encore en ses premières lueurs, cherchant inlassablement, tandis qu’il soumettait les filles comme le vent, à se conquérir lui-même. 

Il aimait que les filles le regardent. 

La lèvre supérieure retroussée sur ses canines, gueule de limier implacable, seule trace de l’appareil orthodontique ôté depuis peu, aucune arène n’était jamais assez grande pour éprouver son empire, aucune fille suffisamment imprenable pour assouvir sa volonté de puissance. 

C’était ce jeune garçon-là, superlatif dans sa poussée de sève, qui s’était élancé vers la mer, le corps légèrement penché dans sa course, souple et oblong, offrant sa poitrine aux rouleaux qui s’écrasaient avec fracas contre les pierres, et qui, au bout de la pente, s’était arrêté à la lisière de l’écume, juste à la limite, et qui avait vrillé son buste pour lancer, dans un mouvement de défi au ciel, un galet qui ricocha longtemps dans l’eau.

Il était ensuite resté planté face à la vaste étendue bleutée, guettant jusqu’où irait la pierre, jusqu’où elle glisserait sur la peau irradiante des vagues, la surface dessinant des cambrures mouvantes, et quand le galet s’abîma enfin dans les remous de salive blanchâtre, il sourit.

Cela faisait longtemps qu’il n'avait pas souri ainsi.

Un sourire d’enfant.



jeudi 18 juin 2015

Le diable prend le TER




Detail from Deportation to Death (Death Train), 1942, by Leopoldo Mendez. Photograph: Art Institute of Chicago
Comme Dionysos vient d’écraser l’ordre apollinien,  il serait idiot d’en rester là et de reprendre sagement le récit comme si de rien n’était, en ignorant qu’on pourrait saisir le diable par la queue, car il s’agira bientôt de lui,  même si l’on doit commencer à l’envers, ou plutôt justement. 


Play.


La journée est finie. 


La petite fille est dans le wagon-retour. Elle fulmine, cramoisie de l’intérieur,  serre les poings contre un feu intérieur qui éjacule des tâches rouges sur sa poitrine, grosse éruption de colère. Qu’elle ne se jette pas sur la blonde avachie le long de la banquette,  conne hyperbolique qui occupe trois places avec son sac et son impolitesse, relève du miracle. Miracle contraint, soyons honnête: la petite fille n’est pas seule, observée par une centaine d’yeux qui scrutent sa réaction. Aujourd’hui, elle a mis son costume de professeur, interdiction de fesser la blonde. Du coup, elle ravale ses jurons. 



Nous sommes dans le train en gare d’Aix-en-Provence.

On a emmené les troisièmes (A, B, C, D) visiter le mémorial du camp des Milles.

On rentre au collège, sonnés. Trois wagons ont été réservés à cet effet.  Y a même des étiquettes écrites rouge sur blanc, placardées aux fenêtres, pour informer les usagers.



La petite fille regarde celle au-dessus de la blonde qui ne veut décidément pas changer de place. Elle grince des dents. En fait, c’est pas des histoires, le diable s’habille en Prada, y a le logo de la marque sur le sac de la fille. 


Si on remonte en arrière, on va pas trouver mieux: juste avant, la petite fille a essuyé un Putain fais chier d’un type à la chemise impeccable, claveté à son attaché-case. Satan is the boss. 


Si on rembobine la pellicule un peu plus avant, un couple de zonards l’a bousculée en changeant de place. Effluve de tabac et de vin. Lucifer se défonce.



Face à toutes ces anamorphoses, la petite fille reste angélique. On l’a déjà dit, elle n’a pas le choix.



Du coup, elle avance entre les sièges en essuyant le plus dignement possible les mauvais postillons et les humeurs de chien. Pourtant, ses tempes  bourdonnent et de ses tripes remonte un truc gluant et brutal qu’elle balancerait volontiers à la tête de la connasse, mais elle déglutit, respire, et poliment demande : Excusez-moi, pourriez-vous…



La blonde replie mollement ses jambes et siffle entre ses dents un minable C’est bon ?



Ton sac Prada, tu lui a pris un billet première classe ? lui demande Géo, quinze ans, œil en dague et blague vive.   

La petite fille ne le reprend pas. Bien vu le môme.



Pendant ce temps, le type à la chemise impeccable fait un scandale parce que la SNCF n’a pas prévu assez de places (ce qui n’est pas faux, au demeurant). 

Ca fait trente ans que vous êtes mauvais ! qu’il gueule à la contrôleuse qui fait semblant de ne pas l’entendre. Le diable aurait aussi des problèmes d’audition…



A y regarder de plus prêt, en balayant le wagon du regard, on les voit bien, ces moignons dans leur dos et grimaces sur le visage. La blonde, l’homme d’affaire, les zonards et la contrôleuse, tous abritent en eux une petite boule de feu rouge qu’il vous jette à la tête si vous approchez, anges déchus qui fait d'eux autant d'associés du diable.  

Le διάβολος, diabolos des grecs, pas le diabolo des Gras-Bon.

Le terme renvoie à ce qui « divise, désunit, détruit ». Chacun, en lançant sa boule de feu, livre une guerre du quotidien. Une odeur de soufre plane.



Un autre jour, on en serait resté là. Un peu fatigué on aurait soupiré que Sartre avait bien raison, L’enfer c’est les autres, puis on serait passé à autre chose.

Seulement, aujourd’hui est un jour spécial.

L’Enfer n’est pas seulement ce concept biblique ou métaphorique dont on peut user par abus de langage. On l’a frôlé pas plus tard qu’il y a une heure, d’ailleurs, il nous a un peu grillé le bout des mèches.



Pour comprendre, il faut revenir au matin. Il est onze heures. On a atteint le second étage du camp des Milles.

Le ciel de juin retient depuis des semaines la pluie, le mercure si haut, les nuages si bas que la chaleur écrase ce mardi déjà salement alourdi par les murs de briques et le sol de silice. A travers la fenêtre, on peut voir un wagon.


Un wagon à bestiaux.



La petite fille trouvait ça essentiel d’emmener les gosses se frotter à ça, à la réalité du lieu, à leur corps dans la pénombre, encore hantée  par les disparus (hommes aux rez-de-chaussée et premier étage, femmes et enfants au deuxième) que Vichy avait internés là avant de les envoyer à Auschwitz-Birkenau.



Dès l’arrivée, Coconut avait senti le roussi. Coconut a quinze ans, C’est le genre de gamine aux genoux écorchés, pommettes anguleuses, qui vous regarde droit dans les yeux, faut pas lui mentir. Une adolescente exigeante. 

A peine le bus s’était-il arrêté qu’elle avait remué sur son siège. La petite fille avait lorgné de son côté, et, avant même qu’elle ait eu le temps de se lever, la gamine s’était mise à pleurer.

La simple vision des barbelés, celle des fenêtres condamnées et de la cheminée de quinze mètres (pourtant érigée dans l’unique but d’évacuer la fumée des fours à tuile), avait suffi à secouer ses maigres épaules de sanglots.



Elle sent les morts… avait murmuré, Peanuts, sa copine, sur un ton dramatique.



La petite fille lui avait jeté un regard de travers. 


Bullshit.  


Les Milles étaient un camp d’internement, on y avait souffert, salement dégusté, parfois crevé (de dysenterie, de faim, de froid ou de chaud,  quand ce n’était pas à cause du rouleau compresseur du désespoir) mais il n’y avait pas eu d’extermination massive. Il ne fallait pas tomber dans l’hystérie qui déréalise l’Histoire. Gaffe les minots ! Le pathos c’est vicelard, ça engraisse la jouissance morbide, c'est vite dégueulasse. 


Peanuts avait fait semblant de comprendre mais comme Coconut reniflait de plus belle, elle n’avait pu s’en empêcher : 


Elle sent le diable



Ok, Peanuts, moi je sens que dans deux secondes je vais t’en coller une.



Ceci étant dit, quoique déguisée en prof, la petite fille n’en menait pas large non plus. 


A l’intérieur, il faisait noir. Les couloirs étaient restés poussiéreux. Au bout de l’un d’eux, au deuxième étage, il y avait une fenêtre. Cette dernière dessinait le cadre d’un tableau: du bleu, du vert, le dehors mais un wagon. 

Un wagon à bestiaux.



La jeune fille qui faisait office de guide était nerveuse, c’était son baptême du feu, première visite commentée. Trois heures à tenir. Son anxiété était palpable. Elle avait désigné la fenêtre :


Quand les premiers convois ont été affrétés, les femmes qui restaient voyaient les trains stationner,  parfois pendant soixante douze heures. Faut imaginer ça sous le soleil du mois d’août. Elles comprenaient ce qu'il allait leur arriver. Des cris  remontaient du train. Cela n’en finissait pas.  On entendait le bruit sec des poings contre les portes, pire que des coups de sabot.



Wagon à bestiaux.



Personne n’avait envie d’entendre la suite. On savait déjà.



Des femmes avaient sauté.



Coconut était livide. Les autres pas moins. 


Les gamins commençaient à voir se dessiner, dans leur conscience d’adolescent, des noirceurs aux contours calcinés. Le cœur de la petite fille se serrait. Pardonnez-moi les enfants, on ne pouvait pas vous laisser barboter avec les anges de la téléréalité plus longtemps. Elle pense au film qu’elle a vu, en son temps, à l’âge où l’on songe plus à se rouler des pelles.  Shoah. Hommes, femmes, enfants, corps-insectes, bras et jambes aussi secs que pattes de sauterelle, yeux immenses et vides de tarsier, monceaux de lunettes, montagnes de cheveux, millions de noms réduits à néant, néant d’hommes, de femmes et d’enfant gazés comme des insectes.



Wagon à bestiaux.



Le pas des adolescents devient lourd. Leur silence et leur visage graves.


Ils lisent les inscriptions sur les murs, dessins à la suie, au crayon, noms gravés à la fourchette sur la brique, ils touchent la réalité de l’Histoire.
 

            Dans l’après-midi, il y aura des ateliers qui visent à décortiquer les mécanismes rendant possibles les génocides. 
 

Arménie, Shoah, Rwanda… 


Leurs visages se tirent. La question reste en suspens au bout de leurs lèvres comme une bulle de chewing-gum enfantine: et moi, si j’avais eu vingt ans à Erzeroum, Berlin ou Kigali, qu’est-ce que j’aurais fait…



Les mains sont moites. 


            Peanuts pourrait dire Ils sentent le diable en eux… mais elle cherche un mouchoir pour éponger son mascara.



            Sur le chemin du retour, un garçon vient se coller à la petite fille. Lui aussi sent un truc. Un truc qui pue, pas loin d’ici, bien présent. C’est confus, hésitant, mais elle comprend bien où il veut en venir. Est-ce qu’on ne serait pas tous en train de fermer les yeux, comme d’autres en leur temps, sur les milliers de morts qu’on laisse crever aux frontières et dans la mer.



Mare nostrum. Triste possessif.



Peanuts, passe-moi un mouchoir.



A Auschwitz-Birkenau, les chemins qui s’enfoncent entre les bouleaux ont des sinuosités bien plus complexes que la queue d’un Lucifer et débouchent sur des espaces autrement plus obscurs et effrayants qu’un trident. Ici, tout est grand. On  tue à grande échelle, presque 238 terrains de foot consacrés à l’assassinat.

Vertige.

Inconcevable, surtout, le nombre de morts.

Uppercut.

Puis, comble de l’horreur, c’est le minuscule qui vous achève. Les granulés de Zyklon B ont l’allure de petits galets, gris et polis, qu’un ruisseau roulerait sur la rive. Même le diable n’aurait osé pareil artifice. Il faut, semble-t-il, être un homme pour imaginer cela. Un homme, tout bêtement.  Une bête humaine.



La bête humaine, d’ailleurs, c’est une histoire de train. Ligne Saint-Lazare Le Havre. 


Eux, ils sont bien plus bas. Partis d’un wagon à bestiaux ils ont atterri dans un TER.
  

Dedans, une blonde qui veut pas lâcher son bout de gras. 


Géo  suggère à la petite fille de lui offrir un des billets d’entrée qu’ils n’ont pas utilisé. La petite fille opine du chef. Ça la démange mais elle ne va pas souffler sur la braise.

Elle se tourne simplement vers Peanuts et lui demande en désignant la blonde:


Ca sent le diable, non ?




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Songe d'une nuit d'été
Ce qui reste

dimanche 7 juin 2015

Possibles (1)

           Il arrive que certains textes se commencent sans pour autant trouver leur suite. Ils restent au placard des fichiers work in progress, pour ne pas avouer qu'ils font du sur place.

Parfois, ils sont nourris d'une autre forme de vie. Non pas qu'on les termine: une image les ravive qui pourrait les habiller. 

Comme il ne faut pas bouder chaussure à son pied, il m'arrivera de publier quelques uns de ces fragments quand la rencontre entre une peinture, une photographie et les possibles du texte le permettra.

Voici le premier de ces Possibles, accompagné d'une photographie de Pol Ubeda Hervàs intitulée I'm not there:

 
Pol Ubeda Hervàs, I'm not there
  
         Il n'était pas tard dans l'après-midi pourtant j'étais déjà fatigué. Je voudrais dire quelque chose à ce propos pour ma défense, à savoir que j'avais marché toute la journée avec des chaussures qui ne m'appartenaient pas. Je vais dissiper immédiatement le doute qui pourrait venir gâcher les bons rapports qui commençaient à s'installer entre nous en précisant que je ne les avais en aucune manière volées puisqu'il s'agit d'un arrangement beaucoup plus ménager avec mon cordonnier qui me les avait prêtées le temps de réparer mes mocassins dont la semelle s'était décollée au niveau du talon ce qui est pareillement incommode et finit par fatiguer au bout de peu de kilomètres. Or je dois dire, non que je fusse spectaculairement athlète, que je cultive cependant, surtout depuis que Nicole est partie, parce qu'il faut bien passer le temps qu'elle occupait avant, que je pratique de façon régulière une activité physique comme le sport, ce qui me permet de manière opportune d'avoir un peu de répit tout en m'entretenant en vue d'une liaison qui me permettrait d'oublier son départ à elle.


vendredi 5 juin 2015

La barbe à papa


          
Rebecca Louise Law
 
Il est sorti de l’hiver comme un Robinson, hirsute et mal peigné, explosion de kératine. Le Cow-Boy était devenu un faune, sacrée barbe à papa.

En ces premiers jours d’avril, deux amandiers, vieillards à la barbiche également fleurie, exhibaient un immense pompon rose au-dessus de leur tronc pourtant parcheminé. Ils avaient passé l’automne et l’hiver incognito, silhouette marron parmi les ombres brunes, ployé sous le souvenir de leur virginité quand,  lourds des neiges de janvier, ils avaient pleuré leur jeunesse, et ne voilà-t-il pas qu’ils retrouvaient leur verdeur et sortaient fier jabot : bouffissure d’efflorescence en crescendo blanc, ivoire à mauve presque fuchsia, entrelacs de rameaux comme bas résille, qu’on pique ça et là d’un bourgeon de manchette, les deux si rondelets et fessus qu’on eût voulu mordre dans leur barbe à papa.

Divins marquis d’avril.

Des arbres, ce furent les premiers à s’allumer, bientôt rejoints par d’autres qui dessinèrent autour de la maison une piste de bal si gaie, tache violine du prunus, nacre du pommier, quand ce n’était pas l’ivoire du cognassier ou les fifty shades of cream des poiriers, qu’à chaque fois que le Cow-Boy et La Petite Fille ouvraient les volets, Petit-Biscuit applaudissait.

Puis, comme on déballe un cadeau, la gamine s’écriait Là, un cerisier ! Et effectivement, au bout de son doigt potelé, on découvrait un nouveau fruitier sauvage qui constellait avec ses frères la colline fauve de blanc.

En poussant le regard plus bas, des milliers de pissenlits déroulaient leur piste aux étoiles dans laquelle Petit-Biscuit s’enroulait : griserie de l’enfant qui dévale la pente, folie des roulades au cours desquelles fourmis et grillons agrippaient sa tignasse, si bien qu’à nouveau debout, la tête de l’enfant était ceinte d’une couronne d’herbettes et de bestioles, digne fille de son père le faune.

Exaltée par les tourbillons elle répétait Ça tourne, ça tourne et fermait les yeux pour finir de s’enivrer.  Car, sous les frondaisons, le bourdonnement de millions d’ailes affairées remuait les effluves, bobinant les parfums en ruban pour mieux les mêler aux autres, hydromel de guêpes et de bourdon.

Sur les talus et autour des troncs, iris, jonquilles, centaurées, ancolies et coquelicots mouchetaient le monochrome vert. Les fleurs se tenaient droites, nobles dans leurs robes de printemps.
Les insolentes.

Seulement, les belles avaient la gloriole facile et l’on aurait eu tort de se contenter de leurs splendeurs affichées. Un peu plus loin se cachaient des beautés plus fugitives.
Regardez par ici...
Non, enfin, pas par là : que voudriez-vous dire au sujet de l’orgueilleuse rose aux flonflons héroïques que Ronsard n’ait déjà écrit ? Non, approchez, faites un pas de côté et écartez les herbes hautes. Qu’elles sont jolies les discrètes pour qui sait les voir. Bien sûr, il faut s’enfoncer dans les champs, taper par terre de peur de débusquer une couleuvre. Mais on ne risque pas grand-chose si ce n’est de tomber sur l’une de ces modestes qui n’a même pas de nom. Pourtant, qu’elles sont belles ces jupes en cloche rosée ou ces intrigantes au calice bleu roi ! Hardi les croquantes, petites sœurs des chardons !

Petit à petit, en suivant leur piste, vous entrerez dans la farandole des liserons, remonterez le chemin en virevoltes le long des caillasses et, le sol imitant les vrilles de la vigne, vous ressortirez au niveau de la boîte aux lettres tout étourdi par cette sarabande aussi fraîche qu’un verre de blanc.

Enfin, vous finirez ébloui : tache de soleil citron sur vert phosphorescent. C’est le forsythia qui, incandescent, paillette la butte.

Vous êtes abasourdi.

Rien n’aurait laissé présager autant de folies. Le Cow-Boy et La Petite Fille étaient arrivés en été. Ils ignoraient ces facéties.

Mais déjà ils pleurent leurs premiers émois. Plus jamais ils ne connaîtront la candeur de ce premier printemps. Les amandiers continueront à rosir, les liserons à grimper, mais ils sauront où les attendre et, las, auront perdu la volupté du premier baiser.

Ils pourront toujours planter des bulbes à l’automne, tulipes et muscaris pour des rondes de printemps. Mais finie la saveur première ; on opinera du chef avec la satisfaction du professeur qui entend une leçon bien récitée.

La Petite Fille fait la gueule. Elle a du mal avec la frustration.

Le Cow-Boy n’aime pas la voir comme ça. Alors il s’est gratté sa barbe à papa, a réfléchi un moment puis souri. Du galop d’un bouc il a couru au garage en riant. La Petite Fille avait sagement étiqueté les caissettes de bulbes et les enveloppes de graines. Il a tout arraché. Tout mélangé, vilain satyre.

Un coup de dé jamais n’abolira le hasard : viens, gamine, on va tout semer aux quatre vents !

Il venait de les sauver de la monotonie.

A eux les infinis étourdissements ! Les pigments d’aventure, de ceux qu’aucune main n’a ordonnés. Ils n’en ont pas fini avec les beautés farouches, figures de gitan, un peu comme celle du Cow-Boy, qui, par un petit matin de printemps, s’est réveillé en faune.





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Songe d'une nuit d'été
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