mercredi 24 juin 2015

Possibles (2)



© Claudine Doury


Il s’était élancé contre la pente, le corps légèrement penché dans sa course, souple et long comme un roseau, tige fouettant le ciel, tout en offrant sa poitrine aux rouleaux qui s’écrasaient contre les galets. 

Dix minutes plus tôt, il marchait encore avec des béquilles. 

Parvenu en haut de la crête, il avait aperçu la mer et brutalement lâché ses cannes.  Une fraction de seconde avait suffi pour qu’il se jette vers elle, comme si son genou fût miraculeusement rétabli, l’iode et le vent lui sablant les cheveux, son souffle galvanisé, le sel et l’oxygène giflant son jeune sang, les veines rendues fébriles à ses tempes, marbrant la peau limpide sous la transparence topaze, lointains ancêtres asiatiques à la délicatesse fauve qui contrastait avec le jais de ses cheveux, tignasse qu’il coiffait et décoiffait avec le même soin, sûr de son effet, de cette beauté arrogante qu’il affichait sans aucune réserve, ne lui opposant, dans la violence de l’adolescence, aucune modestie, bien décidé à éclabousser de sa superbe le plat pays alentour, l’enfant cherchant l’homme à venir dans ces dilatations de l’être, et livrant une guerre sans merci au monde, à coup de biffures dans le bleu, appétit vorace qui ne connaissait aucune limite car il était encore en ses premières lueurs, cherchant inlassablement, tandis qu’il soumettait les filles comme le vent, à se conquérir lui-même. 

Il aimait que les filles le regardent. 

La lèvre supérieure retroussée sur ses canines, gueule de limier implacable, seule trace de l’appareil orthodontique ôté depuis peu, aucune arène n’était jamais assez grande pour éprouver son empire, aucune fille suffisamment imprenable pour assouvir sa volonté de puissance. 

C’était ce jeune garçon-là, superlatif dans sa poussée de sève, qui s’était élancé vers la mer, le corps légèrement penché dans sa course, souple et oblong, offrant sa poitrine aux rouleaux qui s’écrasaient avec fracas contre les pierres, et qui, au bout de la pente, s’était arrêté à la lisière de l’écume, juste à la limite, et qui avait vrillé son buste pour lancer, dans un mouvement de défi au ciel, un galet qui ricocha longtemps dans l’eau.

Il était ensuite resté planté face à la vaste étendue bleutée, guettant jusqu’où irait la pierre, jusqu’où elle glisserait sur la peau irradiante des vagues, la surface dessinant des cambrures mouvantes, et quand le galet s’abîma enfin dans les remous de salive blanchâtre, il sourit.

Cela faisait longtemps qu’il n'avait pas souri ainsi.

Un sourire d’enfant.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire