dimanche 28 décembre 2014

L'hiver et la grâce des jeunes filles


      Sous ses rigueurs calvinistes, l’hiver révèle des grâces de jeune fille. 


La nuit traîne un peu et dorlote le matin dans ses vapeurs bleutées. La petite fille boit son thé derrière la vitre. 


Seuls les grands pins ont mal dormi. Des pompons de neige se sont accrochés à leurs branches, les accablant d’une allure maladroite et consternée. Les mésanges -loin d’être des chérubins comme l’indique leur nom, en profitent pour venir les chahuter. Elles enrubannent leurs branches de biffures jaunes et bleues, marivaudage de plume dans les aiguilles. Parfois, une houppe de neige n’y résiste pas. Elle dégringole en avalanche, laissant flotter dans le ciel des poussières argentées, fine pluie d’étoiles qui défie l'aube naissante. 


Car bientôt le soleil sera là, qui irradie derrière la colline. A travers les troncs, son galon de bronze rôtit les contours de la crête. 


Soudain, il apparaît. Le Grand-Blanc, soleil des jours de neige.


C’est lui qui ouvre le bal, éclaboussant les champs de sa lumière insolente. Les rayons ruissellent dans les buissons et se cognent à la dentelle de cristal, ricochant en éclats lavande et rosé pour se répandre ensuite sur la surface crémeuse, flaques colorées.


Petit-Biscuit se réveille. Le cow boy ouvre ses volets : ivresse sur le visage de l’enfant qui découvre la neige. 


Avec l'impatience d'une demoiselle invitée à sa première fête, la petite chérie enfile son costume d'esquimau : collant sur chaussettes sous pantalon,  pull sous polaire sous veste, sans oublier moufles et bonnet... en un coup de vent elle est dehors.


De la maison, la piste de danse semblait immaculée, chaste robe de mariage, mais en descendant, l’on voit bien qu'elle est zébrée de traces. La fête a déjà commencé.


Sagace, le cow boy y lit les chorégraphies légères des bêtes pendant la nuit : là les entrechats folâtres de perdrix affolées, ici le grand jeté d’un chevreuil et plus loin le passe-pied agile du renard. Ciel, les traces du goupil croisent les empreintes des volatiles ! Petit-Biscuit tremble en imaginant les charniers de la nuit. Mais pas de rouge sur le blanc. 


La neige garde la mémoire des crimes, lui apprend le cow boy.


La petite fille le suit, silencieuse. Il porte Petit-Biscuit sur ses épaules. 


Leurs bottes crissent à chaque pas et cela est délicat, un froissement de tissus précieux. Le cow-boy, malgré le poids de l’enfant, semble frôler le sol. Son corps tout entier, enveloppé dans son long manteau noir évolue avec les précautions d’un homme du monde qui voudrait prendre soin d’une femme. Il caresse les ramilles d’églantiers, effleure les frondaisons des chênes, léger, presque astronaute car le sol est loin, enfoui sous une épaisse couche de poudre, voie lactée ou piste de danse, ils ne savent plus trop, car l’immensité de ces espaces de délicatesse les étourdit, arase en eux toute volonté de comprendre ou de parler et c’est ainsi qu’ils marcheront, en proie à une forme de sidération, grisés par le froid qui agit sur eux comme un alcool fort, et arriveront au sommet de la colline, cherchant encore une pente à gravir alors qu’il n’y a plus rien, rien que l’immensité du ciel et le vertige face à sa clarté, la terre enfin aérienne dans ses blancheurs hivernales, répondant à l'appel de la légèreté


L'hiver, dans ses bontés, leur offre alors la possibilité de descendre la pente, vaporeux et célestes, oiseaux folâtrant dans les aiguilles des pins, grands arbres maladroits qui n'osent pas danser et déclinent leur invitation en râlant, déposant au-dessus de leur tête une couronne de neige en guise d'auréole givrée.

Sous ses rigueurs calvinistes, l'hiver a des grâces de princesse. 

 


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ALM/LAM/ MLA                           




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