vendredi 5 juin 2015

La barbe à papa


          
Rebecca Louise Law
 
Il est sorti de l’hiver comme un Robinson, hirsute et mal peigné, explosion de kératine. Le Cow-Boy était devenu un faune, sacrée barbe à papa.

En ces premiers jours d’avril, deux amandiers, vieillards à la barbiche également fleurie, exhibaient un immense pompon rose au-dessus de leur tronc pourtant parcheminé. Ils avaient passé l’automne et l’hiver incognito, silhouette marron parmi les ombres brunes, ployé sous le souvenir de leur virginité quand,  lourds des neiges de janvier, ils avaient pleuré leur jeunesse, et ne voilà-t-il pas qu’ils retrouvaient leur verdeur et sortaient fier jabot : bouffissure d’efflorescence en crescendo blanc, ivoire à mauve presque fuchsia, entrelacs de rameaux comme bas résille, qu’on pique ça et là d’un bourgeon de manchette, les deux si rondelets et fessus qu’on eût voulu mordre dans leur barbe à papa.

Divins marquis d’avril.

Des arbres, ce furent les premiers à s’allumer, bientôt rejoints par d’autres qui dessinèrent autour de la maison une piste de bal si gaie, tache violine du prunus, nacre du pommier, quand ce n’était pas l’ivoire du cognassier ou les fifty shades of cream des poiriers, qu’à chaque fois que le Cow-Boy et La Petite Fille ouvraient les volets, Petit-Biscuit applaudissait.

Puis, comme on déballe un cadeau, la gamine s’écriait Là, un cerisier ! Et effectivement, au bout de son doigt potelé, on découvrait un nouveau fruitier sauvage qui constellait avec ses frères la colline fauve de blanc.

En poussant le regard plus bas, des milliers de pissenlits déroulaient leur piste aux étoiles dans laquelle Petit-Biscuit s’enroulait : griserie de l’enfant qui dévale la pente, folie des roulades au cours desquelles fourmis et grillons agrippaient sa tignasse, si bien qu’à nouveau debout, la tête de l’enfant était ceinte d’une couronne d’herbettes et de bestioles, digne fille de son père le faune.

Exaltée par les tourbillons elle répétait Ça tourne, ça tourne et fermait les yeux pour finir de s’enivrer.  Car, sous les frondaisons, le bourdonnement de millions d’ailes affairées remuait les effluves, bobinant les parfums en ruban pour mieux les mêler aux autres, hydromel de guêpes et de bourdon.

Sur les talus et autour des troncs, iris, jonquilles, centaurées, ancolies et coquelicots mouchetaient le monochrome vert. Les fleurs se tenaient droites, nobles dans leurs robes de printemps.
Les insolentes.

Seulement, les belles avaient la gloriole facile et l’on aurait eu tort de se contenter de leurs splendeurs affichées. Un peu plus loin se cachaient des beautés plus fugitives.
Regardez par ici...
Non, enfin, pas par là : que voudriez-vous dire au sujet de l’orgueilleuse rose aux flonflons héroïques que Ronsard n’ait déjà écrit ? Non, approchez, faites un pas de côté et écartez les herbes hautes. Qu’elles sont jolies les discrètes pour qui sait les voir. Bien sûr, il faut s’enfoncer dans les champs, taper par terre de peur de débusquer une couleuvre. Mais on ne risque pas grand-chose si ce n’est de tomber sur l’une de ces modestes qui n’a même pas de nom. Pourtant, qu’elles sont belles ces jupes en cloche rosée ou ces intrigantes au calice bleu roi ! Hardi les croquantes, petites sœurs des chardons !

Petit à petit, en suivant leur piste, vous entrerez dans la farandole des liserons, remonterez le chemin en virevoltes le long des caillasses et, le sol imitant les vrilles de la vigne, vous ressortirez au niveau de la boîte aux lettres tout étourdi par cette sarabande aussi fraîche qu’un verre de blanc.

Enfin, vous finirez ébloui : tache de soleil citron sur vert phosphorescent. C’est le forsythia qui, incandescent, paillette la butte.

Vous êtes abasourdi.

Rien n’aurait laissé présager autant de folies. Le Cow-Boy et La Petite Fille étaient arrivés en été. Ils ignoraient ces facéties.

Mais déjà ils pleurent leurs premiers émois. Plus jamais ils ne connaîtront la candeur de ce premier printemps. Les amandiers continueront à rosir, les liserons à grimper, mais ils sauront où les attendre et, las, auront perdu la volupté du premier baiser.

Ils pourront toujours planter des bulbes à l’automne, tulipes et muscaris pour des rondes de printemps. Mais finie la saveur première ; on opinera du chef avec la satisfaction du professeur qui entend une leçon bien récitée.

La Petite Fille fait la gueule. Elle a du mal avec la frustration.

Le Cow-Boy n’aime pas la voir comme ça. Alors il s’est gratté sa barbe à papa, a réfléchi un moment puis souri. Du galop d’un bouc il a couru au garage en riant. La Petite Fille avait sagement étiqueté les caissettes de bulbes et les enveloppes de graines. Il a tout arraché. Tout mélangé, vilain satyre.

Un coup de dé jamais n’abolira le hasard : viens, gamine, on va tout semer aux quatre vents !

Il venait de les sauver de la monotonie.

A eux les infinis étourdissements ! Les pigments d’aventure, de ceux qu’aucune main n’a ordonnés. Ils n’en ont pas fini avec les beautés farouches, figures de gitan, un peu comme celle du Cow-Boy, qui, par un petit matin de printemps, s’est réveillé en faune.





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