lundi 18 janvier 2016

This is the end. Epilogue.

Copyright Dorothy Shoes


Voilà, c’est la fin, This is the end/ Beautiful friend/ This is the end/ My only friend the end.

Voilà comment commençait la chanson quand les Doors la chantaient au Whisky A Go-Go en 1966. Deux sets par nuit. Elle ne fait pas encore les douze minutes de l’album qui sortira un an plus tard. Entre temps, le morceau se dilate, pour faire du remplissage, c’est long deux sets par nuit.

Jim improvise, prend de l’acide, invente chaque nuit de nouvelles conneries.

Alors elle ondoie, la chanson. Comme un serpent.
Ride the snake/ Ride the snake.

Un soir, complètement défoncé, il règle son Œdipe. Tue le père, baise la mère. Le patron du bar, Phil Tanzini les fout à la porte à la fin de la semaine.
Août 1966.

Six mois plus tard, Jim enregistre la voix en live, pour l’album. Pas d’instrument, juste la voix, dans le noir, éclairé par une bougie.
Beau comme un clair-obscur chez Rembrandt.

This is the end/ Beautiful friend/ This is the end/ My only friend the end.

J’aimerais que tu entendes cette voix dans le noir, éclairée par une bougie. C’est avec elle que nous allons finir. Jim va me doubler, pendant qu’on baisse (quel paronyme...) le rideau, comme au théâtre.

C’est l’épilogue/ Mon bel ami/ C’est l’épilogue… Non, évitons de traduire, ça casse l’ambiance.

Et puis, c’est quoi un épilogue en fait? Un truc qu’on rajoute, à la fin, comme une pincée de sel pour donner du goût? Dans le dictionnaire des synonymes, tu trouves tout un tas d’acceptions, somme toute assez éloignées: conclusion, terminus, dénouement, péroraison, épisode...

De péroraison, zéro, on n’a pas fait de rhétorique.
Terminus, encore moins, un texte se nourrit de ceux qui vont le lire et ça, c’est un nouveau départ.
Dénouement ? S’il y eut des nœuds, ce fut dans le ventre du cow-boy. Il va mieux maintenant, merci. Voilà pour ce qui a été dénoué. Quant aux angoisses dans le bide de la petite fille, elle ne va pas se faire opérer.
Ce serait une conclusion ? Mais on n'est pas à l'école, le prof va pas ramasser la copie ?

Non, c'est juste une fin.

On y dira au revoir à mémé Pilote, qui nous a quittés.
Au revoir au lecteur qui nous a accompagnés.

Et puis on regardera le serpent ondoyer, Ride the snake/ Ride the snake, parce que rien n’a vraiment de fin. Quand il a écrit sa chanson, Jim Morrison croyait pourtant l'inverse. Il venait juste de rompre avec Mary Werbelow. C’était une lettre d’adieu, de rupture.
Mais il n’était pas con, le Jimmy. 149 de QI, selon les dires. Il savait bien que la poïetique devient poétique, et avouait, trois ans plus tard, dans une interview à Rolling Stone, que sa chanson  excédait bien tout cela:
                                      
Chaque fois que j'entends cette chanson, elle signifie quelque chose d'autre pour moi. Je ne sais pas vraiment ce que j'essayais de dire. Cela a commencé comme une simple chanson d'adieu. Probablement à une fille mais cela pourrait être aussi un adieu à une sorte d'enfance. Je ne sais pas vraiment. C'est suffisamment complexe et universel que cela pourrait être presque toute chose qu'on voudrait que cela soit.

Alors, pourquoi vouloir poser sa griffe sur un texte, comme on dit, à moi, à moi, quand le sens vous dépasse, justement à la fin?

Ce ne sera pas un épilogue, du coup, juste une lisière
The end like a beginning.

Cela aura duré un an. Un an durant lequel s’est bâti Walden, modestement. Walden épithète Junior, donc.

On arrive juste au bout du livre.
Pas du chemin.

Tout ce qui l’a fait naître perdure; les travaux qui vivotent entre deux découverts, la pluie qui descend de la montagne, pas à cheval, on en a assez de trois chats - entre temps, Dumb et Dumber ont débarqué- la cheminée, égale à elle-même qui vorace, la vipère qui vitupère depuis qu’on a adopté un hérisson, le potager qui s’agrandit, en même temps que la famille, avec Virgule 5 sur l’écran de l’échographie, comme sur Skype, sauf qu’il s’en fout de nous dire quoi que ce soit, et continue à flotter tranquillement, il a raison d’ailleurs, c’est un joli petit bonze, déjà sage, qui a tout compris, faut pas se caparaçonner ni se carapater, juste flotter, un coup en haut, un coup en bas, c’est ça la vie, des hauts et des bas, des bars aussi, comme le Whisky A Go-Go, ou celui au bout du chemin, puis de la route, dans la ville, et tous ceux au bout de toutes les routes, de toutes les villes, qui tissent des pays et puis un monde, ça fait beaucoup de bouteilles, autant dire que c’est sacrément embouteillé, comme la cave, qu’on n’arrive jamais à ranger, tant pis,  faudra quand-même essayer, comme pour le monde, même si tout restera bordélique, à la fin, The end, ce qu’il faudra accepter, peut-être même trouver vivant, pour pas être tout le temps en colère, ça épuise et fatigue tout le monde d’être en pétard, mieux vaut les fumer vous dirait Jimmy, et au bout de tout ce bordel, de tous ces gens plus ou moins en colère, avec leurs hauts et leurs bas, parfois sans, qui vont cul-nu parce qu’il n’y a plus de lave-linge, parfois même plus de slip, au bout de tous ces pays et de toutes ces villes, reliés par toutes ces autoroutes, qui se divisent en routes et petits chemins, il y a le nôtre, modeste, même pas goudronné, encore moins bétonné, juste de terre, bien vivant, avec ses nids de poule et ses Et merde les amortisseurs, notre chemin en cul de sac, comme un épilogue, avec nous au bout, dans ce trou de verdure où ne coule aucune rivière, juste un robinet qui fuit, vos parents ne sont pas des nababs, les enfants, mais vous êtes quand-même fichtrement gâtés mes chéris, parce qu’en fait, c’est pas vraiment un épilogue, on peut le prendre dans les deux sens, le chemin, et dites-moi si vous trouvez meilleur héritage mes lapins; parce que tout est possible avec pareil chemin, qui s'en va et qui revient, autre chanson, autre registre, fuguer et contre-fuguer, grande escapade et petit repli, d'où on peut partir pour conquérir le monde et revenir pour s’en reposer, on a même fixé un hamac sous le prunier à cet effet.
Et La tanière sera toujours là, mes chatons, pour vous réfugier sous l’aile de maman-papa, là, là, tout va bien mes petits, mais pas de naïveté, mes mignons, aucune maison ne saurait être sanctuaire. Le monde bruisse tout autour de Walden, comme feuille au vent, et ce vacarme pourra vous casser les oreilles parfois, ça fait mal aux tympans les cons, faudra alors peut-être devenir musicien, écouter le gros son noisy, Bam bam/ Bam Bam, du monde comme il va, pilon d’un cœur géant à faire péter le sonomètre, et même si le rythme tachycharde, qu’on frôle la crise cardiaque, rien ne sert de se boucher les oreilles mes chouchous, ça n’arrange rien aux ventricules, équipez-vous plutôt d’une bonne caisse de résonance  qui rendra tout ce vacarme audible, à défaut d’être compréhensible, c’est parfois ça la poésie, Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or, souvenez-vous le vieil idéaliste, ça tombe bien, mes amours, de la boue, on en a plein le chemin, vous êtes riches. 

De la maison au monde et du monde à la maison, voilà votre succession

Dans ces allers et venues, il y aura des embranchements, des choix et des cabosses, il y aura de joyeux croisements, Pouet Pouet les klaxons et Boum Boum les carambolages, certains vous laisseront des bosses, revenez alors à la maison on a du sparadrap, là là mes petits sous l'aile de papa-maman. Vous rencontrerez peut-être des biches, sûrement des connards, ça pullule au volant. Sachez saluer les uns comme les autres, câlin câlin les gros cons, ça les désarçonne et dans un nuage de poussière vous les planterez sur le bord de la route. Un soir, peut-être surgiront dans vos phares des fictions, buissons qui prendront soudain forme humaine. Jouissez de ces tours de passe passe, quand la route devient serpent de goudron.

Ride the snake/ Ride the snake

Ce chemin sera peut-être votre seul héritage, on n’est pas des nababs les enfants.

Nous, on est déjà en route.

Et on écoute The end.


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